Dans un contexte mondial marqué par des crises multiples et une instabilité croissante des financements, les organisations sur le terrain doivent composer avec des moyens limités face à des besoins qui, eux, ne cessent de croître. La suspension récente d’importants fonds de l’USAID a mis en lumière la fragilité de cet écosystème et les conséquences directes pour les communautés les plus vulnérables. Cette décision ne se traduit pas seulement par des chiffres dans un budget, elle bouleverse des vies, interrompt des projets vitaux et accroît la vulnérabilité de millions de personnes. Pour mieux comprendre les enjeux de cette situation et ses répercussions concrètes, j’ai eu le plaisir d’interviewer Ousmane Lalo Mahamane Hamissou, humanitaire spécialiste de la protection de l’enfance et expert en coordination de clusters. Témoin direct de ces réalités, son témoignage révèle, au-delà des statistiques, la dimension profondément humaine de cette crise silencieuse.

Le défi des ressources

Comme l’affirme d’entrée de jeu Ousmane, le financement des programmes humanitaires est le grand défi du secteur. Un défi tel qu’il touche l’ensemble des corps de métier et oblige chacun, à son niveau, à prendre en compte les contraintes budgétaires pour adapter ses actions, revoir ses priorités et parfois faire face à des décisions difficiles. La fréquence et l’intensité croissantes des crises, voire des polycrises, contraignent certaines ONG à s’installer durablement sur le terrain, n’ayant d’autre choix que de maintenir leurs actions pour soulager les souffrances des populations. Une réalité qui exige une mobilisation financière constante, massive et urgente.

Il ajoute à cela, qu’en plus d’être rare, certaines opportunités de financement sont guidées par des décisions politiques ou ciblées sur des zones géographiques précises rendant plus difficile leur obtention.

 

Entre urgence et incertitude

En 2025, l’administration Trump ordonne la suspension des financements de l’USAID, l’agence américaine responsable de la coopération internationale et de l’aide au développement. Ce tournant majeur fragilise de nombreuses ONG et leurs programmes d’urgence comme de développement. 

« Dès qu’on a eu l’information nous avons revu notre planification humanitaire en cours. Nos ambitions ont été diminuées. C’était un gros financement que le pays recevait mais la situation a inconditionnellement eu un impact.»

Ousmane Lalo Mahamane Hamissou

Ousmane souligne que de telles décisions provoquent un déséquilibre profond, pouvant même entraîner le chaos lorsque la réduction des fonds contraint les acteurs humanitaires à se retirer brusquement faute de ressources suffisantes. Il va même plus loin en affirmant que, si certains impacts de ce type de décisions sont déjà visibles, beaucoup restent encore à venir et demeurent imprévisibles. Cela contraint les acteurs de terrain à anticiper toutes les éventualités et à réévaluer en permanence leur capacité d’intervention. Et pour Ousmane, cela l’amène à identifier d’autres bailleurs possibles, à réévaluer les ressources disponibles pour continuer de couvrir les besoins urgents ou à la priorisation des programmes mettant de côté les actions de résilience et de développement au profit des besoins urgents. 

 

L’impact humain

Quand il est question de coupes budgétaires, ce ne sont pas seulement des chiffres ou des négociations diplomatiques mais des vies humaines qui sont en jeu, comme l’alerte Ousmane.  Les communautés déjà durement touchées subissent alors une double peine, la crise qu’elles affrontent aujourd’hui et celle qui se profile demain. Et cela que les fonds soient diminués, suspendus ou complètement arrêtés. Des communautés se retrouvent davantage vulnérables,  accumulant des difficultés qui ouvrent la voie à de véritables polycrises, quand d’autres se retrouvent complètement démunies face à l’arrêt brutal d’une aide qui était vitale et pour laquelle aucune solution de remplacement n’existe. Et Ousmane prend l’exemple des actions de sécurité alimentaire où certaines communautés dépendent des ratios de nourriture distribués périodiquement.

Cette rupture brusque impacte aussi le travail des humanitaires. Ousmane fait remarquer que certains organismes ont dû procéder à des restructurations de leurs ressources humaines par manque de moyens et de visibilité quant à l’avenir. On parle alors de suppression de poste au siège et sur le terrain, de diminution d’effectif, de cumul de responsabilités et de tâches. Et il met en garde sur le bien-être des humanitaires qui peuvent se retrouver impactés face à des situations de surmenage et de stress. Autant de facteurs qui, à terme, peuvent fragiliser non seulement les humanitaires mais aussi l’efficacité globale de l’action humanitaire.

La suppression ou la réduction brutale des financements met en péril la capacité des ONG à répondre aux besoins croissants des populations vulnérables. Cette crise financière crée un effet domino qui affecte autant les bénéficiaires que les équipes humanitaires, souvent poussées à leurs limites. Garantir l’efficacité de l’aide passe par la sécurisation des financements et un engagement international accru face aux enjeux humanitaires mondiaux.