Dans un monde marqué par les crises récurrentes, la résilience apparaît comme un enjeu central. Les acteurs et organisations humanitaires ne se limitent plus à la simple réponse d’urgence mais visent désormais à renforcer durablement la capacité des communautés à anticiper, résister et se reconstruire face aux chocs. Pour approfondir cette réflexion, j’ai eu le plaisir d’échanger avec Marie-Noel Maffon, humanitaire forte de plus de vingt ans d’expérience en Afrique et en Europe. Elle a dirigé des programmes humanitaires et de développement au Bénin, au Niger, au Mali, en Centrafrique et en République Démocratique du Congo entre autres. Spécialisée dans la gestion des crises humanitaires, la réduction des risques de catastrophes et la transition climatique, son parcours illustre un engagement fort en faveur de l’autonomisation des communautés et du renforcement de leur résilience.  

Les opinions exprimées dans cet entretien sont personnelles.

Qu’est-ce que la résilience ? 

Comme le rappelle Marie-Noël, la résilience est un concept qui trouve son origine dans le domaine de l’écologie. Il désigne la capacité d’un système à absorber des chocs et à retrouver son équilibre. Élargi à l’action humanitaire, il renvoie à la nécessité de donner aux communautés les outils, les ressources et les marges de manœuvre pour faire face aux crises, s’adapter et se reconstruire durablement. Concrètement, cela passe par des structures locales solides, des liens sociaux renforcés et la capacité des populations à s’organiser de manière autonome pour construire un avenir plus sûr.

« La résilience, c’est préparer plutôt que subir : anticiper, s’adapter, se relever et transformer. Et surtout, donner aux communautés et aux organisations de la société civile les moyens, la confiance et la reconnaissance nécessaires pour décider et agir dans leur propre contexte. »

Marie-Noël Maffon

Marie-Noël insiste sur un point essentiel, la résilience redéfinit l’action humanitaire. Elle souligne l’importance de placer les acteurs locaux et les communautés au cœur des réponses apportées dans des contextes fragiles (crise climatique, insécurité alimentaire, tensions sociales etc.). En replaçant l’humain au centre, la résilience encourage des pratiques d’aide qui privilégient la prévention, l’adaptation et l’autonomie. Pour illustrer ses propos, elle évoque des exemples concrets comme les systèmes agricoles capables de résister aux sécheresses ou encore des programmes humanitaires fondés sur le leadership communautaireC’est dans cette logique que s’inscrit le concept de nexus humanitaire-développement-paix qu’elle décrit comme une approche qui associe réponse d’urgence, développement à long terme et consolidation de la paix. L’objectif est de renforcer durablement les communautés, leur autonomie et leur capacité à anticiper et surmonter les crises, plutôt que de se limiter à des interventions ponctuelles

Marie-Noël rappelle que les communautés sont déjà résilientes et qu’elles trouvent souvent, par elles-mêmes, les solutions les plus adaptées à leurs réalités. Mais elles peuvent avoir besoin d’un accompagnement ciblé, qu’il s’agisse de cofinancement de programmes locaux, une approche qu’elle a mise en œuvre en Afrique de l’Ouest, ou de renforcement de capacités. Elle attire également l’attention sur l’importance d’une bonne adéquation entre les stratégies, les pratiques et les outils mis en œuvre et les besoins réels des communautés. Selon elle, la pertinence des interventions repose avant tout sur une compréhension fine du contexte, une réelle consultation des acteurs locaux et une mise en œuvre participative. Elle souligne enfin la nécessité d’inclure pleinement les femmes et les jeunes, non seulement pour renforcer leur légitimité dans la prise de décision locale, mais aussi pour consolider la cohésion sociale et ancrer durablement la résilience au sein des communautés.

Repenser les pratiques

Pour Marie-Noël, le secteur humanitaire traverse une période de profonde transformation, marquée entre autres par la diminution et l’incertitude des financements et par l’émergence de nouveaux acteurs. Dans ce contexte, les organisations humanitaires doivent repenser leurs stratégies et leurs partenariats. Elle plaide pour la mise en place de partenariats inclusifs associant communautés, société civile, acteurs humanitaires, autorités locales et bailleurs afin de mutualiser compétences et ressources. Mais surtout, elle insiste, les communautés doivent rester au centre des réponses. 

Au-delà de la coopération, elle appelle à des outils partagés permettant de fluidifier la circulation de l’information, d’assurer un suivi rigoureux des projets et d’ajuster les actions en fonction des retours du terrain, dans un cadre de transparence accrue. La complémentarité entre acteurs doit aussi devenir un principe clé de la coopération, les organisations nationales et locales doivent être reconnues comme des acteurs à part entière, dotées de moyens et de légitimité suffisants. Elle illustre ses propos par l’exemple des comités villageois mis en place dans le cadre d’initiatives agricoles au Sahel, où les habitants participent activement aux décisions et à la mise en œuvre. Au Burkina Faso, elle a contribué, dans le cadre de projets financés par des bailleurs, à renforcer la capacité d’organisations agricoles locales à accéder à des financements flexibles et à investir dans des pratiques plus durables. Ces initiatives démontrent que le véritable changement se produit lorsque les communautés deviennent actrices de leur propre développement

 

Vers plus de résilience

Il convient de distinguer les interventions humanitaires, centrées sur la réponse d’urgence, de celles de développement, orientées vers le long terme. Les premières visent à sauver des vies et à répondre aux besoins vitaux immédiats dans des contextes de crise, qu’il s’agisse de catastrophes naturelles ou de conflits. Les secondes cherchent à s’attaquer aux causes profondes des vulnérabilités, à renforcer les capacités locales et à consolider la résilience des populations dans la durée.

Pour Marie-Noël, il faut désormais passer de la réponse ponctuelle à l’investissement durable. Chaque crise doit être vue comme une opportunité d’apprentissage et d’amélioration, afin de prévenir les suivantes. Cela suppose d’investir dans des infrastructures et des programmes pérennes, mais aussi de valoriser les savoirs et les compétences locales, qui constituent souvent la meilleure réponse aux défis du quotidien. Elle insiste sur le fait que les innovations les plus efficaces émergent des communautés elles-mêmes, lorsqu’elles sont soutenues par des financements adaptés. La formation et le partage des bonnes pratiques jouent aussi un rôle clé, ils permettent aux communautés d’apprendre, d’innover et de reproduire les approches qui ont fait leurs preuves. Parmi les exemples les plus inspirants, elle cite le Système d’Alerte Précoce Pastoral mis en place au Sahel. En combinant données satellitaires et observations locales, il permet de suivre la qualité des pâturages et la disponibilité de l’eau en temps réel. Déployé aujourd’hui au Mali, au Niger, au Burkina Faso, au Sénégal, en Mauritanie et en Côte d’Ivoire, ce dispositif aide les communautés pastorales à anticiper les sécheresses et à renforcer leur résilience collective.

  

 

Bâtir la résilience ne relève pas d’un simple exercice technique ou financier, c’est une démarche collective et systémique. Les expériences de terrain montrent que la combinaison entre financement adapté, technologies pertinentes et leadership local crée les conditions d’un changement durable. Mais pour être véritablement transformative, cette approche doit être inclusive. Sans la participation active des femmes, des jeunes et des populations rurales, la résilience reste incomplète. Et comme conclut Marie-Noël, préparer plutôt que réagir, passer d’une logique de réponse à une logique d’investissement, c’est ce qui doit guider l’action humanitaire et le développement.