

Au-delà de la mise en œuvre de programmes humanitaires, destinés à répondre aux besoins essentiels et à améliorer les conditions de vie des communautés, les ONG et acteurs humanitaires jouent également un rôle déterminant dans le plaidoyer. Leurs actions ne se limitent pas à apporter une assistance directe, elles visent aussi à influencer les politiques, les pratiques et les décisions qui affectent les populations vulnérables. À travers le plaidoyer, les acteurs humanitaires portent la voix des communautés, alertent sur les violations des droits et contribuent à créer un environnement plus juste et plus protecteur. Pour approfondir ce sujet, j’ai eu le plaisir d’interviewer Ouahid Abassi, fondateur et président de l’ONG Dignité International. Acteur humanitaire depuis plus de 10 ans, son parcours l’a conduit à être témoin de violations graves à l’encontre de la dignité humaine et aujourd’hui, de plaider en faveur du respect du droit international humanitaire.
Comme l’explique Ouahid, le plaidoyer repose sur un travail de terrain long et approfondi permettant d’identifier les violations du droit international humanitaire et des droits de l’Homme, afin d’en informer les décideurs nationaux et internationaux et de plaider pour une meilleure protection des civils. Ce processus implique une documentation rigoureuse des faits, l’organisation du recueil de témoignages et la collecte de données fiables. Ce travail constitue ensuite la base pour interpeller et questionner les autorités, informer, sensibiliser et exercer une pression sur les décideurs afin de convertir les constats du terrain en décisions juridiques, opérationnelles et politiques capables d’améliorer durablement la protection des civils et le respect du droit international humanitaire.
Il fait remarquer que ce travail de plaidoyer est fait en toute indépendance et avec comme objectif d’aller plus loin que la simple dénonciation, la polémique ou la déstabilisation. Il rappelle également que les actions de plaidoyer peuvent, et parfois même doivent, être menées en groupe (acteurs humanitaires, de la société civile ou encore médiatiques) pour appuyer la cause défendue et renforcer l’impact des démarches engagées.
« Le plaidoyer humanitaire agit comme un pont entre le terrain et la sphère décisionnelle. Il oblige les acteurs de pouvoir à regarder en face les conséquences de leurs choix.»
Ouahid Abassi
Ouahid prend l’exemple des actions de plaidoyer menées dans le cadre de la sensibilisation à la protection de l’environnement et rappelle, que les catastrophes naturelles que vivent de nombreuses communautés aujourd’hui, sont la résultante de politiques économiques menées sans considération pour l’impact environnemental et les conséquences humaines à long terme. Il alerte également sur le non-respect croissant du droit international humanitaire au Soudan ou encore à Gaza.
Pour Ouahid, les acteurs humanitaires se doivent de mettre en place des stratégies de plaidoyer. Cela passe en premier lieu par des rencontres avec les décideurs politiques, économiques, mais aussi médiatiques, pour présenter les enjeux humanitaires et porter des recommandations concrètes appuyées sur les retours du terrain. Il conseille également de créer des coalitions d’ONG pour parler d’une seule voix et augmenter l’impact du plaidoyer. De sensibiliser et informer via des campagnes médiatiques et publicitaires, comme Dignité International a pu le faire avec sa campagne à 5 voix afin de défendre le droit international humanitaire et sensibiliser à la protection des civils en période de conflit.
Le volet juridique est également un point important dans les actions de plaidoyer car il permet d’appuyer les arguments sur des bases légales solides et de renforcer la légitimité des démarches engagées.
Ouahid fait remarquer que toute action de plaidoyer amène à des rapports de force et à des situations amenant à de possibles tentatives de décrédibilisation. Et pour y faire face, les organismes humanitaires se doivent d’être indépendants, notamment une indépendance financière pour éviter toute forme de lobby ou d’incapacité d’action. La transparence, l’éthique, la fiabilité et l’exactitude des informations diffusées sont également des points essentiels car ils renforcent la crédibilité de l’ONG. Il ajoute également que les ONG gagneraient à s’entourer d’avocats et de juristes pour contrer toute tentative de campagnes hostiles à leur encontre.
À ces défis s’ajoutent l’instrumentalisation ou l’incrimination de l’aide humanitaire, qui se traduit par des restrictions d’accès, une surveillance accrue ou encore des obstacles administratifs. La mise en cause d’organismes humanitaires à travers des fake-news, comme cela a été le cas pour l’agence onusienne UNRWA faussement accusée par Israël de lien avec le Hamas, illustre parfaitement ces problématiques. Cette même agence qui avait alerté et dénoncé à de nombreuses reprises les violations répétées du droit international humanitaire par Israël à Gaza. L’insécurité croissante à l’encontre des humanitaires est également un enjeu majeur.
L’impunité persistante face à la violation des droits, la polarisation médiatique ou encore le manque de diversification dans la prise de parole médiatique sont pour Ouahid d’autres défis et obstacles dans la défense du droit international humanitaire.
Le travail de plaidoyer des ONG s’inscrit dans la continuité de l’expression citoyenne, comme le conclut Ouahid. Il ne se limite pas à des actions institutionnelles ou politiques, il puise sa force dans l’engagement collectif et la mobilisation des citoyens. Ce n’est qu’à travers le soutien et la participation active des populations que le plaidoyer peut réellement porter ses fruits, influencer les décideurs et transformer les situations sur le terrain. Chaque campagne, chaque initiative menée par une ONG trouve sa légitimité et son impact dans l’implication citoyenne, qui agit comme un moteur de crédibilité et de pression positive sur les acteurs politiques et institutionnels.